lundi 22 août 2011

Nouvelle d'été

La gorge nouée et les cheveux défaits, Julie restait indécise sous le porche de Victor. Elle n'avait pas dormi de la nuit et la seule idée de tout révéler lui donnait l'envie de disparaître d'un seul coup. Et pour cause, qui pourrait prétendre vivre sereinement avec un tel secret? Ses yeux embués, irrémédiablement fixés sur le poussoir de la sonnette, elle était à deux doigts de se délester d'un souvenir douloureux, vieux de quelques heures à peine.
"Ding-dong !" La courte mélodie résonnait comme une défaite entre les murs bourgeois de la famille de Vielle. L'attente qui suivit ne dura qu'une poignée de secondes - Victor avait prévu de consacrer son dimanche au profit de sa vidéothèque, dont les classiques s'étaient mêlés aux films de vacances dans un patchwork angoissant de désordre, il était donc dans le salon - mais déjà Julie avait eu le temps de se repasser le film de la scène une demi-douzaine de fois dans le tiroir éthylique de sa mémoire.
Brutalement interrompue dans ses réminiscences - dont elle n'était plus vraiment sûre d'être dégoûtée -, Julie remarquait, béate, que Victor se tenait devant elle.
Lui : « Julie …? Tu es bien matinale ! », s’étonna-t-il catholiquement, tout en relevant, satisfait, que le platane de l’entrée revendiquait encore de belles couleurs en cette fin de mois d'août.
Elle : « Vic…argh…tor… ! », murmura-t-elle, presque imperceptible dans le chaos de ses suffocations. Elle constatait, impuissante, que le diamètre de son orifice glottique avait connu meilleures performances à mesure qu’elle s’acharnait à sortir la moindre intelligibilité. « Je…argh…j’ai… », persistait-elle. Lui, interdit, l'observait se battre contre elle-même et s'inquiétait déjà du sort de Roméo, le petit chat malade que Julie avait recueilli quelques semaines plus tôt.
Et soudain, comme si le poids de ses efforts avait rompu la bride qui frustrait son credo de vérité, Julie laissa s'échapper de son corps meurtri la séquence verbale tant redoutée. Cinq syllabes dont les vierges pavillons de Victor de Vielle garderont un souvenir amer, bien que mal compris :
« J’me suis fait fister ! », lâcha-t-elle d’une traite en s’effondrant dans les bras de celui qu’elle aimait par-dessus tout.
D'après une intuition de Cédric V.