mercredi 21 mars 2012

Victor, fils de France

En cette deuxième matinée de printemps 2012, Victor se réveille de bonne heure et d'excellente humeur. Et pour cause, le radio-réveil -qui lui avait été offert par ses grands-parents à l'occasion de sa première communion il y a de cela une bonne quinzaine d'années- lui sature déjà les pavillons des vérités nouvelles : le quadruple assassinat de Toulouse a son "présumé coupable", selon la formule du Ministre de l'Intérieur. Et la journaliste de poursuivre : "L'individu, d'origine algérienne...".

- Victoire!!!, s'exclame Victor, sautant de son lit, le poing lancé vers le ciel, tout juste épargné d'un violent impact avec le plafond. Il n'en fallait pas plus à cette formidable mécanique intellectuelle pour saisir toute la complexité du drame : un arabe a tué des enfants juifs. Ouf! Le suspense est terminé...

Oui, parce que la veille, Victor s'était fait un sang d'encre, alors que les soupçons les plus lourds pesaient encore sur des ex-soldats français aux sympathies néo-nazies. On brandissait déjà des comparaisons éclairées avec la tragédie d'Oslo. La France et son malheureux Président auraient dû essuyer les critiques bien-pensantes et moralisatrices du monde entier -mais surtout de la gauche- pour avoir enfanté un monstre nourri à la peur de l'autre -mais surtout de l'outre-méditerranéen. Ouf!

- Où est mon téléphone intelligent comme moi ? fut la deuxième réflexion -interrogative, cette fois- de Victor, aussi brève et efficace que la première. Dans le salon! Et zou! Dans une formidable démonstration d'explosivité, le corps athlétique de Victor dévale l'impressionnant escalier à double volée -un caprice de son arrière-arrière-arrière-grand-père. Or, à mi-chemin se situe une plateforme que Victor ne connait que trop bien. Théâtre d'un dilemme quotidien, ce palier façonné dans le marbre et recouvert de velours offre à celui qui vient à le fouler venant d'en haut le choix de la prochaine volée à emprunter pour rallier le bas. Mais il faut croire que le printemps émulsionne les hormones et favorise les pulsions. Aujourd'hui, c'est droite toute! En quelques enjambées généreuses, Victor traverse le grand hall pour se retrouver, à peine essoufflé, dans le tout petit salon -dit multimédia. Ses gestes sont d'une rapidité telle que le temps d'écrire ces lignes, il a déjà composé le numéro de son oncle Ivan, père de substitution -Jacques, le père biologique de Victor, a passé l'arme à gauche- et éditorialiste au Figaro, quotidien généraliste d'opinions étroites :

- Ivan ? Tu es déjà au bureau?
- Oui, fiston ! Je termine mon édito sur Toulouse ! C'est urgent ?
- Je viens d'avoir les nouvelles ! Un arabe ! C'est un miracle !
- Du pain bénit, oui ! La France est sauvée ! Vive la République, vive le Président !
- Tu es le plus fort, Tonton !

Deux heures plus tard, l'oncle génial du génie Victor publiait un éditorial au titre peu banal dans le journal national : "Ces moralistes qui ont couvé un monstre".